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Articles de presse

Le "Gai Savoir des éducateurs" Éloge des "transparents", chroniques et récits Jean-François Gomez, (L'Harmattan).

Avance sur ton seuil, sous le liseron
Ouvre ta main de l'enclume vers moi
Viens avec moi boiter dans l'avenir
Yves Bonnefoy
("L'heure présente", Cité en exergue du troisième chapitre)


C'est sur un chemin emprunté par le jeu de l'ombre et de la lumière que nous entraîne Jean-François Gomez dans le "Gai Savoir des éducateurs", chemin de traverse bordé de ces murets de pierres sèches censés orienter nos pas mais qui, en vérité, permettent de protéger les fleurs sauvages et les herbes folles…
Rassemblant les notes, les articles et les chroniques qui ont balisé son histoire d'éducateur, ce livre s'adresse d'abord à ceux qui, n'ayant pas cédé sur leur désir, tentent, malgré des vents contraires, d'en faire scintiller le sillage tumultueux. Il est un recueil d'annales de ces métiers de l'impossible qui cherche avec entêtement, à unir l'expérience pratique à la réflexion et à la pensée. Il s'agit dès lors d'interpréter pour éprouver, d'interpréter pour transmettre. Cette question de la transmission constitue d'ailleurs pour l'auteur une inquiétude permanente. L'homme contemporain est-il encore en mesure de transmettre son expérience ?
On retrouve au fil des pages, sur une ligne d'erre ouverte à toute rencontre, la répétition incessante de noms qui lui sont chers, noms de poètes, d'écrivains ou de penseurs qui s'écrivent comme les bornes de son parcours de praticiens de l'éducation : Yves Bonnefoy, Fernand Deligny, Albert Camus, Khalil Gibran, François Tosquelles ou Jean Oury… On lit dans cette généalogie insistante une sorte de "nomination par testament", formule qui, faut-il le préciser, constitue l'étymologie du mot institution. S'ajoutent à sa liste symbolique les portraits de ces "transparents" qui ont inspiré sa pensée en assurant sa pratique : parmi ceux-ci, les figures attachantes de Roger Gentils et de Stanislas Tomkiewick, consciences de notre temps et dont on sait la position éthique soutenue avec courage dans les milieux éducatifs d'après guerre.
Car, c'est d'une époque marquante dont nous sommes les héritiers que rappelle Jean-François Gomez :
"Notre monde est issu d'une guerre civile", "Hôpital de Saint-Alban en guerre", mais aussi "Maisons de redressement sous l'occupation", sont des titres qui évoquent, bien sûr un autre temps.
Époque périmée ? Rejetée plutôt par les injonctions progressistes qui appellent à la mutation, visant la sécurité par la rééducation numérique de la société et le conditionnement des individus qui la composent. On nous dit que l'irruption du biologique dans le politique n'offrirait plus d'autres solutions que de s'adapter aux exigences d'experts engoncés dans leurs chiffres et qui, par conséquent, n'ont pas de parole à tenir. A contrario, en relançant dans sa démarche les deux jambes de la psychothérapie institutionnelle, "Le gai savoir des éducateurs", permet une reconnaissance inattendue et paradoxale de l'élan libertaire de 68, engendrant une responsabilité féconde animée par un désir de subversion et de questionnement permanent de notre façon d'être au monde. Cette aspiration s'exprime sous la plume de Jean-François Gomez par le récit de multiples rencontres avec ceux qu'on dit inadaptés ou handicapés accueillis par lui dans le balancement du hamac des mots, et que l'écoute attentive éclaire.
Éloquente, la lecture de ces textes peut facilement toucher les uns et les autres et particulièrement ceux qui ont vécu ce passé, irritant une sensibilité à fleur de peau comme celle des " Pensées sous les nuages" de Philippe Jaccottet : "Voilà que désormais, toute musique de jadis lui monte aux yeux, en fortes larmes".
Or, l'immersion sensorielle est souvent raillée avec hauteur par "ceux qui savent sans pratiquer", soutenant leur savoir progressiste des arguments "d'affectation déplacée" ou de "lyrisme non scientifique". Revendiquant le rêve, aujourd'hui comme hier, notre auteur ne se protège pas des affects, soumis parfois aux affres du contre-transfert, il assume cette sensibilité : " Taxée de romantisme, la référence à ce passé, illustre le passage d'une période éthique à un moment techno- scientifique qui n'est peut être que technocratique, le nôtre."
On comprend ainsi son attachement à des penseurs qui ont toujours mis en cause le grand gel des pratiques déshumanisantes comme Albert Camus ou Simone Weil, cette irréductible résistante, Antigone à la recherche d'une société fraternelle et juste à la fois. Ses propos vivants issus d'un engagement concret, ne sont-ils pas toujours d'une pertinence décapante ? "L'opposition entre l'avenir et le passé est absurde. L'avenir, ne nous apporte rien ; c'est nous qui pour le construire devons tout lui donner, lui donner notre vie elle-même. Mais pour donner, il faut posséder, et nous ne possédons d'autre vie, d'autre sève que les trésors hérités du passé et digérés, assimilés, recréés par nous", rappelant ainsi la texture signifiante de ce que les Romains appelaient déjà la Vera Vita Viva… dans les conditions retrouvées d'une parole vraie, insoumise et féconde, poétisant le quotidien.
Aussi, la mosaïque disparate des écrits du "Gai Savoir des éducateurs" témoigne-t-elle pour les générations à venir, jusque dans le silence qui sépare et scelle les textes entre eux, d'une expérience passée toujours en chantier. Inévaluables, leurs récits de multiples rencontres démontrent, dans l'échec comme dans la réussite, une richesse humaine qui n'a, désormais, pas de prix.
Son élan désirant exprime avant tout l'engagement et la foi d'un éducateur, homme de parole en lutte contre la servitude volontaire qui a nourri tous les totalitarismes du siècle dernier. Jean François Gomez dénonce ainsi la forme accréditée d'un nouveau pétainisme qui, se saisissant des algorithmes informatiques, manage la question humaine, aliénant l'individu tout autant que ses possibilités de lien social.
C'est pourquoi on peut être surpris de lire au détour d'une page: "Il est nécessaire de lutter contre l'idéologie de la demande du sujet". On aimerait un développement à ce propos lancé à la volée, et qui nous laisse dubitatifs. Car éliminer cette dimension spécifique du sujet, c'est se rendre sourd à la question politique, et à la difficile articulation des deux jambes de la psychothérapie institutionnelle. C'est oublier de se préoccuper de l'habitat du parlêtre, de l'espace d'accueil sur lequel peut émerger la présence du singulier. Accepter la valeur humaine de la folie dont parle Tosquelles, n'implique-t-il pas d'entendre sa quête et de soutenir son espace précaire du dire ?
Mais on peut être certain qu'il n'est pas dans la négation de la demande du sujet, cet auteur qui, armé d'une grande culture, revendique avec conviction le politique, ce "qui suppose de regarder d'abord son propre aveuglement. Elle [la question politique] ne peut se défaire de la question poétique qui consiste à se (re) mettre au monde jour après jour". Et l'on peut prendre le pari qu'il sait en jouer celui qui est capable de pousser son chant à répétition dans le désert du désenchantement.
Voilà ce que transmet Jean-François Gomez par ses chroniques et récits qui font un éloge appuyé des "Transparents" :
"Croire en l'acte poétique c'est espérer
Que sa mise en œuvre puisse
Donner du sens à ce qui s'y dérobe", écrivait Jean Starobinski.

C'est d'abord accepter un mouvement brownien qui, sur fond d'arrière-pays, provoque la palpitation des mots au-dedans de chacun. Nous invitant à habiter le monde en poète, sans en être dupe, les lignes d'erre du "Gai Savoir des éducateurs" rendent plus sûrement compte d'une authentique posture éducative que n'importe quelle nouvelle technique d'expertise du réel prônée par des sciences dites humaines.
Ce qui fait la force de transmission des écrits de Jean-François Gomez, c'est de pousser la porte de la littérature dont les murets de pierres sèches permettent de répéter en écho et avec insistance : "Lecteur, jeune ou ancien,
Avance sur ton seuil sous le liseron\ Ouvre ta main de l'enclume vers moi,
ensemble nous pourrons dire :
Et je m'avancerai sur l'étroite jetée\Qui vacille entre les mouettes et l'écume"

Guy- Arthur Rousseau

REVUE INSTITUITIONS, janvier 2020

Auteur concerné :

Jean-François Gomez


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